Onirym dévale la colline en riant, les bras chargés de belles pommes rouges.
Juste derrière lui, Jobert et Lulu courent aussi vite que leurs petites jambes leur permettent.
Encore plus haut, au sommet de la colline, le Père Ballut essaye de leur courir après, mais l’âge et l'arthrite ont raison de lui. Il s’arrête tout rouge en soufflant comme un bœuf, et entre deux respirations poussives il brandit sa canne et hurle des insanités aux trois chenapans.
Père Ballut : Vauriens ! Voleurs ! Perfides furoncles ! Rendez-moi mes pommes !
Les trois compères traversent le chemin en bas de colline, tournent vers la mare de la veuve Nigot, sautent par-dessus la clôture du champ aux moutons et traversent la rivière qui longe le bois.
Ils s’allongent dans l'herbe fraîche pour reprendre leur souffle, toujours en train de rire et en croquant une belle pomme juteuse.
Jobert : de toute façon le vieux Ballut il aurait pas su quoi en faire de ces pommes, il a plus de dents !
Lulu : n’empêche il était vachement énervé …
Jobert : t’aurais peut-être pas dû pisser non plus sur ses salades …
Onirym : c’est vrai les gars, vous êtes les premiers à vous plaindre que les humains ne vous aime pas, mais avec des coups pareils c’est pas étonnant !
Lulu : dit celui qui a volé les pommes !!!
Onirym : c’est pas ma faute, elles me faisaient de l'œil !
Jobert : tout comme le décolleté de Mina ?
Onirym devient aussi rouge que ses pommes, il en jette une à la tête de Jobert pour le faire taire : ça va pas non ! N’importe quoi !
Lulu : oui ! il est amoureux !!!
Onirym : Arrêtez les gars, sinon je pars bouder avec mes pommes et vous n'en aurez pas d'autres !
Lulu : hé ! C’est de la discrimination ! C’est pas notre faute si on a de si petites jambes et qu'on ne peut pas attraper les pommes dans l’arbre !
Jobert : ouais fait gaffe parce qu’on a peut être des petites jambes mais nous autres halfelings on est super doué pour lancer des malédictions !
Lulu : par exemple je peux te constiper d’un simple claquement de doigts !
Jobert : ou te faire perdre tes cheveux et tes dents !
Onirym : pfff les gars c’est trop gros votre truc ! La magie ça n'existe pas et les malédictions non plus !
Jobert : et bien tu demanderas au vieux Gobiot si ça existe pas la magie, les fées, les dragons et tout ça et tu verras bien ce qu’il te dira !
Onirym : je sais bien se qu’il dira, je vous rappelle que je suis là aussi à la veillée quand il raconte ses histoires et ses légendes ! Mais justement ce ne sont que des légendes ! Pas la vraie vie !
Lulu : oui pas comme les lèvres douces de Mina (il se met à mimer avec sa pomme un fougueux baiser).
Jobert : ou ses petits seins biens ronds que tu rêves de prendre dans tes mains. (Il se met à imiter le geste, une pomme dans chaque main).
Onirym se lève, saisit un bâton et le tient face à ses amis comme si c’était une épée : ça suffit les gars, parlez pas de Mina comme çà !
Une voix claire se fait entendre sur le chemin derrière eux : Qui parle de moi ? Ah je vois que c’est encore ces deux imbéciles de Jobert et Lulu …
Une jeune halfeling vêtue d’une robe verte et d’un chemisier blanc vient de faire son apparition. Elle porte un panier rempli de mûres et de champignons.
Lulu et Jobert se lèvent et disent d’une seule voix : mais heureusement le valeureux chevalier Onirym est là pour protéger ton honneur !
Onirym jette son bâton et se tourne vers Mina : ne les écoute pas, ils sont bêtes et jaloux. Tu veux une pomme ? Mais au fait, tu ne devrais pas être là ! Tu sais que Sylvain n’aime pas que l’on s’aventure à l’extérieur de la vallée.
Mina le toise de ses grands yeux clairs : et vous ? Les interdits c’est pour tout le monde que je sache !
Onirym : oui mais nous c’est pas pareil !
Mina : Quoi ? ose me dire que c’est parce que je suis une fille et tu te prends ma main dans le pif !
Onirym : non c’est pas ce que je voulais dire ! Nous on est trois tu vois …
Mina : trois gros petits cochons pas discrets du tout ! Je vous ai entendu brailler depuis l’autre bout du champ ! Alors niveau discrétion bravo mais non ça marche pas !
Onirym fait signe à ses amis. Il a entendu des chiens aboyer au loin. Il dit : rentrons, ne trainons pas par ici, il se fait tard …

Les quatre compères prennent le chemin du retour, alors que le soleil se couche.
Lorsqu'ils arrivent au petit village des Halfelings, bien reculé des routes humaines et à l'abri dans une vallée cachée, dans la forêt, ils se rendent compte tout de suite que quelque chose cloche.
Le petit village d’habitude si paisible est pris d’une agitation fébrile et anormale …
Onirym et ses amis se précipitent au village, et demandent à la première personne qu’ils croisent : mais que se passe t-il ?
L’halfeling interpellé leur répond : il y a les frères Jublains, ils sont arrivés avec leur carriole avec un macchabé dedans ! Et d’après se qu’on sait, c’est un humain et sûrement un guerrier avec armes et bagages !
Lulu : un humain … comme toi Oni !
Jobert : oui mais mort. A moins qu’il se soit rompu le cou en glissant sur une souche, ça sent plutôt la bagarre … UN guerrier en plus ! Mais pourquoi ils l’ont ramené ici ! Moi je l’aurai jeté dans la rivière pour qu’il file loin d’ici !
Mina tire Onirym par le bras : regarde, il y Sylvain le bourgmestre qui te fait signe d’avancer !
Onirym : mais qu’est ce qu’il me veut ?
Onirym confie ses pommes à ses amis et s’avance vers l’halfeling au teint d’habitude si jovial, avec ses grandes bacchantes et son nez tout rond … Mais là il est plus que sérieux, la mine grave …
Sylvain : ha mon p'tit vient donc par là J’ai besoin de toi !
Onirym : oui monsieur …
Ils rentrent tous les deux dans la plus grande bâtisse du village, la maison la plus importante : l’auberge.
Ils grimpent à l’étage.
Il y a des halfelings curieux et soucieux dans tous les coins, ils sont obligés de jouer des coudes pour avancer. Ils arrivent devant la porte d’une des chambres de l’auberge ou deux halfelings costaux, deux rouquins, montent la garde.
Sylvain entre dans la chambre. Mais au moment où Onirym veut le suivre, les deux frangins rouquins lui barrent le passage : et toi, l'humain tu ne rentres pas !
Sylvain se retourne et leur met une taloche sur les oreilles : vous êtes trop cons les gars ! Et encore je pondère mes propos parce que vous êtes mes neveux … Mais franchement que vous êtes cons ! Je vous ai dit que j’allais chercher Oni et vous croyez que c’est pour le laisser sur le pas de la porte ?
Sylvain fait un signe et Onirym entre dans la chambre non sans oublier de mettre un coup de coude dans les côtes des deux frangins au passage …
Dans la chambre, un homme est allongé sur le lit (ses pieds dépassent allégrement). Il a le teint très pâle et de grosses cernes noires autour des yeux.
Sur un coffre sont posés un fourreau avec une épée et plusieurs dagues. Il y a aussi un arc et un carquois rempli de flèches.
Plus loin, une armure de cuir, des bottes, une grosse cape de laine et une besace de cuir.
Onirym s'approche de l’homme. Il doit avoir dans les 35 / 40 ans. Les traits burinés, de nombreuses cicatrices, des longs cheveux noirs et une fine moustache. C’est la première fois qu’il voit un homme, un vrai depuis longtemps …
Enfin si on exclut les paysans de l’autre côté de la forêt, qu’il croise rapidement, quand il va leur faucher des pommes …
Deux femmes Halfelings sont penchés sur l'inconnu, occupées à nettoyer ses blessures.
Le vieux Gobiot est là aussi, l’air grave.
Onirym se tourne vers Sylvain : pourquoi m’avez vous fait venir ?
Sylvain : parfois il parle, il délire plus … La fièvre ou les blessures … Mais il parle dans une langue que je ne comprends pas. Il n'est pas d’ici c’est sûr … Je me suis dit que peut-être tu pourrais comprendre ce qu’il dit et savoir ce qu’il lui est arrivé ? Il faut que l’on sache … si le village est en danger …
Le vieux Gobiot, dans un monologue dit : ses blessures ne sont pas normales. Il a des griffures, mais aussi une plaie au côté, faite avec une arme, tranchante. Mais les griffures au bras, aux jambes … ce n’est pas normal, non pas normal … Elles sont noires, gonflées, suintantes, odorantes … C’est pas normal … Je vais lui appliquer mes plantes et des bandages mais je ne sais pas s’il va passer la nuit …
Une fois les soins faits, les halfelings sortent.
Onirym reste près de l’homme. Il ne sait pas pourquoi. Curiosité ? Solidarité humaine ? Ou parce que Sylvain lui a demandé de “traduire” les propos de l’homme ? Peut être un peu de tout cela …
Onirym se met à penser à son enfance, chez les hommes, avant d’arriver au village halfeling. Il revoit ses parents … Son frère … A moins que ce ne soit sa sœur ? Il ne sait plus, cela remonte à si longtemps … Il était si jeune … D’ailleurs dans ses souvenirs ses parents ne sont plus que de vagues silhouettes. Il ne se souvient plus vraiment de leur visage …
L’homme pousse un gémissement, ce qui sort Onirym de ses rêveries.
Il se penche vers lui. L’homme a les yeux ouverts.
Onirym attrape un gobelet posé sur la table, du vin aux épices coupé à l’eau. Il aide l’homme à boire …
L’homme reprend son souffle, attrape le bras d’Onirym et lui murmure dans le vieux dialecte de son enfance : Où sont les autres ? Où est Alounis ?

Le lendemain matin, après être allé faire un tour pour se dégourdir les jambes et répondre aux innombrables questions de ses amis sur le blessé inconnu, Onirym remonte quatre à quatre les marches de l’auberge pour retourner dans sa chambre et veiller sur lui.
Quand il rentre, il trouve l’homme assis dans son lit en train de plonger un gros morceau de pain dans une soupe claire de légumes, sous l'œil émerveillé des deux “infirmières” halfelings …
Onirym à l’air surpris en entrant.
L’homme tourne la tête vers lui et lui dit : entre n’ai pas peur. C’est toi qui a veillé sur moi cette nuit c’est çà ?
Onirym : heu … oui monsieur c’est moi …
L’homme se tourne vers les deux femmes, leur fait un grand sourire : merci mesdames, ce repas est le meilleur que j’ai mangé depuis bien longtemps, je suis sûr qu’il va grandement contribué à me remettre sur pieds, mais je ne voudrai pas abuser de votre temps, vous pouvez y aller si vous voulez …
Les deux femmes ne bougent pas, continuant à le regarder avec leurs yeux de merlan fris et un léger sourire niais sur les lèvres …
L’homme : merci mesdames, vous pouvez disposer … Je vous appellerai si j’ai besoin de quoi que se soit, mais là j’ai besoin de discuter avec ce jeune homme, d’homme à homme vous comprenez ?
Les deux halfelings ont l’air un peu déçues mais s'exécutent et quittent la pièce.
L’homme attend quelques instants pour être sûr qu’elles soient bien parties et déclare : assied toi jeune homme, reste pas planté là comme un héron qu'aurait trouvé un caillou ! Dis moi qui tu es et se que fait un humain au milieu de ce village de petites gens ?
Onirym a lui aussi milles questions à poser à l’inconnu, qui lui brûle les lèvres, mais la politesse veut qu’il réponde en premier … Il prend une grande inspiration et d’un trait récite : bonjour je m’appelle Onirym j’ai 15 ans je pense. J’ai été recueilli il y a de nombreuses années par Sylvain le chef de ce village, sans lui je serai mort.
Je pense que mes parents sont morts, en fait je ne sais pas trop, c’est flou mais il est arrivé un grand malheur c’est sûr. Depuis, je vis ici, ils sont tous très gentils, c’est si agréable … mais …
L’homme : mais ?
Onirym : maïs et vous ? Qui êtes-vous ? Que vous est-il arrivé ? Pourquoi êtes-vous blessé ? Est ce qu’il y a un danger qui plane ? Qu’est ce que je peux faire ?
L’homme lui fait signe de se taire : oh moins vite, moins de questions ! Je ne vais pas tout retenir… Je suis un chasseur, j’ai poursuivi un sanglier au fond des bois, mais il a été plus perfide que moi et a réussi à m’embrocher avant de s’enfuir ! C’est des choses qui arrivent même aux meilleurs … Votre village ne risque rien, personne ne va venir l’attaquer et promis je ne dirai rien quant à son emplacement …
Onirym sait, au fond de lui, que le chasseur ne lui dit pas toute la vérité … Il fait une petite moue.
Le chasseur le remarque et reprend : mais je ne suis pas le seul à ne pas tout dire ! Tu as astucieusement esquivé la suite de ma question tout à l’heure !
Onirym lui répond : comment ça se fait que vous soyez déjà guéri ? Hier soir notre médecin ne savait pas si vous alliez passer la nuit, vos plaies se sont infectées et là ce matin vous faites du gringue à Marie et Alisia …
L’homme rit : t’y vas pas avec le dos de la cuillère ! Il me semble qu'à ce niveau là, la petite blonde très jolie avec qui tu discutais dans la cour tout à l’heure n’était pas non plus insensible à tes charmes…
Onirym : quoi ? Mina ? Non c’est juste une amie …
L’homme : et bien c’est pareil pour ces deux infirmières … Il semblerait que les humains aient donc un certain charme pour la gente féminine des petites gens …
Onirym : c’est peut être une histoire de taille …
L'homme : croit en mon expérience, c’est pas la taille qui compte ! Après concernant ma santé, on se rétablit plutôt vite dans ma famille … J’ai une bonne constitution. Mais dis moi plutôt ce qui te préoccupe ?
Onirym : et bien c’est à dire … Je suis super bien ici, tout le monde est très gentil et je leur suis redevable, mais …
L’homme : mais tu sens l’appel de l’aventure ? Tu veux quitter cette vie paisible et aller courir les routes ?
Onirym : oui c’est çà … Mais j’ai pas envi de leur faire de la peine …
L’homme : surtout à la petite Mina ?
Onirym : hé ho ! Vous allez pas vous y mettre vous aussi !
L’homme : excuse moi … Tu sais, la vie de vagabond n’est pas facile, loin de là …
Onirym : vivre libre ou mourir !
L’homme : pardon ?
Onirym : c’est ma devise … Et il faut que je sache se qui est arrivé à ma famille ! J’ai peut-être un frère ou une sœur encore vivant quelque part … Je dois savoir …
L’homme : donc au fond tu as déjà pris ta décision. Maintenant il te faut trouver le courage de l’appliquer.
Attrape ma besace et passe là moi s’il te plait.
Onirym lui tend le sac en cuir. L’homme farfouille dedans et en sort un splendide poignard à la lame en acier fumé, le manche en corne de cerf sculpté.
L’homme tend le poignard à Onirym : tiens c’est pour toi. Un cadeau pour avoir veillé sur moi …
Onirym écarquille les yeux d'émerveillement : merci !!!
L’homme : vit ta vie, suis tes envies. Si tes amis t’aiment vraiment, ils comprendront …
L’homme resta encore quelques jours dans le village. Lui et Onirym n’eurent pas d’autre conversation.
Puis il partit un petit matin, sans rien dire.
Quelques jours plus tard, Onirym fit de même, quittant la vie douillette du village pour courir vers son destin …
La veille du départ d'Onirym …
Onirym est confortablement installé dans un tas de foin avec ses amis, à déguster une belle tarte aux pommes.
Onirym : Mina cette tarte est excellente !
Lulu : si tu l’épouses, elle pourra t’en faire tous les jours !
Les joues de Mina rougissent comme une betterave et elle plonge son regard dans l'étude approfondie de ses pieds.
Onirym : arrête ! Tu vois bien que tes taquineries embêtent Mina !
Jobert : à moins que ce ne soit le fait que tu n’y répondes pas …
Onirym : tu vas pas t’y mettre toi aussi !
Mina se lève et s’en va en courant.
Onirym : c’est malin vous lui avez fait de la peine …
Lulu : c’est pas nous qui lui faisons de la peine mon gars !
Jobert : franchement Mina est une chic fille, je vois pas se que tu lui reproches …
Onirym : je lui reproche rien, elle est très gentille, c’est comme une soeur pour moi, mais …
Lulu et Jobert prennent un air grave : alors çà y est, tu as pris ta décision ?
Onirym : oui je vais partir … Bientôt …
Lulu : merde ! C’est là qu’on voit qu’humain et halfeling on est pas fait du même bois !
Jobert : tu m’étonnes, jamais une idée aussi farfelue ne nous viendrait à l’esprit !
Lulu : quitter le village, pour toujours, aller vers l’inconnu et le danger … pfffff.
Jobert : je suis sûr que tu vas faire de grandes choses Onirym et devenir quelqu’un d’important !
Onirym : vous rigolez ! Je veux pas de responsabilité, je veux vivre libre ! Un vagabond, un coureur des routes… Vous prendrez soin de Mina les gars ?
Lulu : promis …
Jobert ; tu pars quand ?
Onirym : très bientôt …