Livre 3 / Voyage(s)

Yggdrasil

Yggdrasil

Assise sur une grosse branche, dans la cime de l’arbre gigantesque, Pépette regarde droit devant elle, le regard perdu dans le vide …

Son esprit voyage, parcourt le monde, fuyant sa douleur.

Dans sa poitrine son petit coeur bat fort et chaque battement est comme un déchirement, lui rappelant qu’elle est bien vivante, alors que tant de ses amis sont morts.

Une fois de plus, elle se laisse déborder par la tristesse et le désespoir. De grosses larmes brillantes coulent sur ces petites joues roses et délicates. Elle éclate en sanglots et pousse un hurlement déchirant.

Autour d’elle les branches de l’arbre s'agitent et un bruissement de feuilles, innombrables, accompagne son cri de désespoir. Le vent emporte au loin ses pleurs, dans une nuée de feuilles d’automne …

Un petit écureuil roux arrive en sautillant et vient se lover contre elle. Pépette le prend dans ses bras et le serre très fort contre son coeur meurtri.

Ecureuil : ça va mieux maintenant ?

Pépette : merci Aurel, je ne sais pas ce que je ferai sans toi …

Aurel : mourir de tristesse peut être ?

Pépette : sûrement.

Aurel : c’est moche. Il faut te reprendre ma chère !

Pépette : j'essaie mais je n’y arrive pas …

Aurel : c’est pour ça que je suis là.

Pépette : je ne peux pas surmonter ma peine et ma douleur, tant de choses horribles sont arrivées, tant de mort et de souffrance, et pourquoi ? Un bout de pouvoir, une vile vengeance … Que de choses futiles !

Aurel : tu te poses trop de questions.

Pépette : comment fais tu pour garder le moral ?

Aurel : j’ai un secret : je m’occupe l’esprit ! Je planque des noisettes dans tous les recoins de cet arbre et j’essaie de me souvenir où je les ai caché ! Après je fais la tournée des popotes pour vérifier qu’elles sont bien là.

Pépette : merci mais j’ai pas très envie de cacher des noisettes.

Aurel : c’est un truc d'écureuil c’est pour ça. Faut que tu trouves un truc de fée, ca marchera mieux pour toi ! Ça fait quoi les fées pour s’occuper ?

Pépette : ca fait des trucs nuls et futiles, ca joue avec ses amis … Ses amis …

Les larmes recommencent à couler.

Aurel : ok j’ai fais une boulette, j’aurai pas dû parler de ça ! Et si on jouait à cache cache ? Ou réveiller les hiboux ? J’adore leur air bougon quand on les sort du sommeil avant la tombée de la nuit ! Ou chercher des formes rigoles dans les nuages ? C’est bien ça non ?

Pépette : tu penses qu’un jour j’arriverai à dépasser mon chagrin ? A revivre normalement ?

Aurel : tu le dois ! Déjà parce que tu seras vachement plus rigolote que maintenant, ensuite n’oublies pas qu’il y a encore des gens qui comptent sur toi ! Onirym en tête. Et enfin en mémoire de tes amis …

Aurel ne finit pas sa phrase. Il commence à faire des cabrioles sur les branches autour de Pépette.

Aurel : si tu n’arrives pas à m’attraper avant le coucher du soleil j’aurai le droit de te traiter de grosse chaussette puante pendant une semaine !

Aurel s’élance, sautant de branche en branche.

Pépette se lève, déploie ses ailes et vole à sa poursuite.

Pépette : et moi si je t’attrape je pourrais t'appeler mon gros choupinou d’amour et te faire porter une jolie couronne de fleurs !

Autour d’eux, de jeunes pousses éclosent sur les branches de l’arbre et une nuée de pétales de fleurs emporte leurs rires au vent …

Chanson d’enfer

Chanson d’enfer

Juché sur un gros rocher, Gontrand le ménestrel fait face à une horde de démons.

Gontrand se met à chanter : Et la grosse rombière balance son jolie derrière, Ninon balance ces nichons sous le regard amusé du grand prince démon

Un gigantesque démon rouge, assis sur un trône installé au sommet d’une montagne de crânes se met à rugir : non ça ne va pas du tout !!! Je n’ai pas un regard amusé ! Je suis cruel, je fais peur, je suis terrible !!! Et tu n’as pas parlé de mes majestueuses cornes, je t'avais dit que je voulais que tu parles de mes cornes dans ta chanson !

Gontrand : oui j’allais y venir, mais vous m’avez coupé avant !

Le gigantesque démon rouge : insolent ! Ne me parles pas de la sorte ou je te fais arracher la langue ! Je te rappelle que tu es encore “vivant” et en un seul morceau uniquement selon mon bon vouloir ! Tu es censé me divertir avec tes chansons, c’est ton tourment, alors si tu n’y arrives pas, tu vas finir dans une cage avec les autres !

Gontrand : je comprend maitre, je vais faire des efforts … C’est que c’est pas facile de trouver l’inspiration avec tous ces démons qui sont là à me regarder, prêts à me dévorer … Et j’ai l’habitude de chanter en musique c’est plus facile …

Le gros démons se tourne vers la horde à ses pieds : Ok les gars, fabriquez moi quelques tambourins avec de la peau d’elfe et une lyre avec des boyaux de donzelle, ça fera l’affaire pour notre exigeant ménestrel !

Gontrand : non NON ! Ce n’est pas la peine d'écharper des gens ! Je vais me passer d’instruments … Je peux chanter sans, c’est bien aussi … Tiens j’ai de l’inspiration, écoutez celle-là, elle devrait vous plaire !

La horde démoniaque pousse des cris d’encouragements.

Gros démon rouge : allez-y, mais elle a intérêt à être bonne …

Gontrand se met à hurler : sous le ciel rouge des enfers, le grand roi attend !

Ses cornes rouges et majestueuses sont le symbole de sa puissance, 

Tous les démons le craignent et le vénère, même ma maman !

Et pan et pan sur ton derrière, devant le grand seigneur démon il faut que tu prosternes …

Gontrand se frappe les cuisses en rythme, gesticule et fait des mimiques grotesques pour amuser son auditoire démoniaque …

Il pense : oh la vache, ca va pas être simple de rester en seul morceau par ici …

Epée

Un peu plus loin, assis à l’entrée d’une grotte obscure, Uriel observe la scène avec une certaine délectation.

A ses côtés, Brindille finit de ronger un os.

Brindille : vous avez l’air content maître ?

Uriel : oui je regarde ce Gontrand essayer de se débattre pour préserver sa vie, c’est plaisant. Je ne pensais pas qu’il tiendrait aussi longtemps. C’est vrai que ce gros balourd de Vassago est facile à flatter, mais il se lasse vite … Il s’en tire pas mal le petit humain. On verra bien s’il est encore là demain …

Uriel se lève et fait quelques pas dans la plaine désertique et rougeoyante des enfers.

Brindille : vous partez maître ?

Uriel : oui et vous venez avec moi ma chère. Il y a un truc que je dois vérifier … À propos d’Onirym … Je ne ressens plus sa présence, c’est étrange … Et au passage, comme on sera pas très loin, vous pourrez aller tourmenter encore une fois les songes de cette chère Pépette ! C’est tellement rafraîchissant !

Brindille : oh merci maître !

Brindille se lève à son tour et tire violemment sur une longue chaîne de fer. Une forme recroquevillée, à l’autre bout de la chaîne, pousse un cri de douleur.

Brindille : et lui ? On en fait quoi ?

Uriel : laisse le ici, on repassera le prendre plus tard …

Brindille : attendez mon maître ! Je prends quelques provisions pour le voyage, je n’aime pas voyager le ventre vide.

Brindille tire sur la chaîne, traînant à elle le pauvre malheureux enchaîné à son extrémité. L’homme est entravé au cou par un lourd anneau hérissé de pics qui s’enfoncent dans ses chairs. Sa peau est couverte de plaies et de souillures.

Brindille l’attrape par les cheveux et plonge ses crocs dans son avant bras.

L’homme grimace de douleur mais n’a plus la force de résister. Ni même de crier …

Brindille se redresse, un long filet carmin coulant à la commissure des lèvres. 

Brindille : Haaaa du sang d’ancien vampire maudit, un grand cru !

Uriel : le fait qu’il était un dieu avant doit aussi améliorer le goût !

Brindille : sûrement … Mais ce que j’aime le plus c’est ce petit arrière goût de remords et de culpabilité …

Uriel : vous devenez une vraie gastronome ma chère !

Au travers de la forêt des brumes

Au travers de la forêt des brumes

Onirym se réveille doucement.

Il est porté par le doux mouvement du carrosse, le grincement des essieux et le “clip clop” des sabots des chevaux sur le chemin.

Il ouvre doucement les yeux. Onirym est assis sur un banc tapissé de velours rouge. Au travers des fenêtres de l'équipage, il aperçoit une forêt. Des arbres décharnés, tordus, les branches nues comme des griffes essayant de déchirer le ciel. Au-dessus de la cime des arbres, la voûte céleste nocturne est baignée d’étoiles brillante et la lune, majestueuse, inonde le paysage fantasmagorique d’une lueur claire et laiteuse.

Histoire d’ajouter encore un peu plus de mystère à cette scène irréelle, un épais brouillard enveloppe la forêt, transformant l'ombre des arbres en spectres torturés.

Une voix douce et féminine sort Onirym de sa torpeur : Alors ? Bien dormi ?

Assise face à lui dans le carrosse, une jeune femme aux longs cheveux noirs, vêtue d’un épais manteau de soie le regarde en souriant.

Elle tient blotti sur ses cuisses un gros chat noir qui le fixe également.

La scène a quelque chose d’irréel, de troublant.

Onirym n'a aucune idée d'où il est et de comment il est arrivé là …

Onirym : heu … Bonjour. Qui êtes-vous ? Où sommes-nous ?

Le jeune femme sourit légèrement, et c’est le chat qui répond : Si vous êtes ici c’est que vous êtes mal barré !

Onirym : pardon ?

Chat : quoi ? Vous n’avez jamais vu de chat qui parle ?

Onirym : si, mais ça c'est plutôt mal passé (1).  

Chat : rassurez vous je n’ai rien à voir avec mes congénères qui peuplent votre monde. Voyez moi plutôt comme un messager.

Onirym : où sommes-nous ?

Chat : ce n’est pas important. Ce qui compte c’est la destination de notre voyage …

Onirym : si vous le dites.

Chat : et il vaudrait mieux pour vous ne pas y arriver …

Onirym : génial !

Onirym cherche dans ses poches le barzougalpahium. Il commence à paniquer quand il se rend compte que ses poches sont vides ! La sphère magique a disparu !

Chat : vous cherchez quelque chose ?

Onirym : oui j’ai perdu un truc important !

Chat : c’est peut être que cet objet n’était pas si important que cela au fond …

Onirym : vous rigolez ? C’est le seul moyen que je connaisse pour rentrer chez moi !

Chat : et c’est vraiment ce que vous voulez ?

Onirym : mais bien sûr ! Je veux revoir mes amis, ma douce Sinara et …

Chat : et ?

Onirym : et je vais être papa ! Je ne peux pas les abandonner.

Chat : N'est-ce pas pourtant ce que vous faites ?

Onirym : oui … non ! Je n’ai rien voulu de tout cela !

Chat : vous le pensez vraiment ?

Onirym : Oh hé ça suffit avec vos questions à deux balles ! Bien sûr que je veux rentrer !

Le chat fait un grand sourire énigmatique et révèle une large rangée de dents hérissées.. Ses yeux se mettent à luire autant que la lune au-dessus d’eux.

Un sentiment de crainte et de malaise s'empare d’Onirym.

Il essaye de changer de sujet de conversation en s’adressant à la jeune femme : et vous ? Que pensez-vous de la situation ? Vous avez vu ma sphère magique ? Comment faire pour rentrer chez moi ? Qui êtes-vous ? Vous trouvez pas que votre greffier est un peu étrange ?

Le jeune femme tourne délicatement la tête vers Onirym, plongeant ses grands yeux dans le regard perdu d’Onirym. Onirym se rend alors compte que la jeune femme a exactement les mêmes yeux que son chat !

La scène commence à se brouiller, la brume envahit l'intérieur du carrosse et Onirym se sent partir.

La voix lointaine du chat parvient à ses oreilles avant que l'obscurité n'envahisse tout : on dirait que vous avez déjà trouvé un élément de réponse, c’est pas mal, vous n’êtes peut être pas aussi désespéré que vous en avez l’air !

(1) Voir les chapitres du Livre 1 : Le jour de la lune et la dernière fête de chat-pin.
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